Jean-François Chicoine est pédiatre au CHU Sainte-Justine, professeur adjoint de la clinique à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal et vice-président de la Société de pédiatrie internationale. S’intéressant de très près à la santé des enfants du monde, il a initié différents projets de santé internationale dans les orphelinats de Chine, de Roumanie et du Vietnam. Auteur de plusieurs publications scientifiques, articles, livres et séries télévisées, il n’a jamais hésité à secouer les milieux universitaires et sociaux avec des sujets comme l’abandon des enfants dans les sociétés occidentales, le trafic de bébés ainsi que la négation des droits des enfants de la planète. En 2002, avec Rémi Baril, il a fondé la société Le Monde est ailleurs, qui se porte à la défense de la santé et des droits des 0-18 ans.
Le message
Le message le plus important pour moi est que le parent est la personne la plus importante pour son enfant et qu’il est autorisé à parler pour son enfant et qu’il devrait être autorisé à prendre du temps avec son enfant. Il devrait être un pivot central dans nos sociétés, pour les employeurs (avoir du temps protégé pour les enfants), pour le réseau de santé (cours post-partum intelligents, disponibilité des services et des évaluations) et pour l’État pour éventuellement subvenir aux besoins de ce qu’il est. Le parent est un peu dépossédé de ses décisions, il est vu d’en haut, il est culpabilisé et les femmes sont bonnes là-dedans parce qu’elles ont plus d’instinct et un sens de la responsabilité qui s’est ancré en elles dans les premiers mois de la vie de leur enfant. Comme elles prennent tout sur leurs épaules et qu’elles ne savent plus nécessairement à qui le confier - avec raison je dirais parce qu’elles veulent le protéger-, et un moment donné elles finissent par craquer ou par vivre la vie qu’elles n’auraient pas nécessairement souhaité vivre, qu’elles veuillent retourner sur le marché du travail ou rester à la maison.
Pourquoi un enfant de moins de 18 mois ne devrait-il pas fréquenter la garderie?
Premièrement pour des raisons biologiques. L’enfant a une structure particulière à développer dans son cerveau et il est, comme un papier buvard, extrêmement sensible aux environnements. Si la maman ne peut pas garder son bébé au-delà de ses 8 premiers mois – il est primordial que ce soit la maman assistée du papa qui s’occupe du bébé durant cette période –, il faut absolument que la personne choisie soit un équivalent de la mère. Il faut que cette personne puisse fournir, aux niveaux sensoriel, moteur et émotif, assez de stimulations et de sécurité à l’enfant pour que ses neurones, ses axones puissent bien se développer, pour qu’il puisse avoir l’équipement nécessaire pour ensuite réaliser sa vie. Ces phases sont importantes au départ pour que la maman s’attache à l’enfant et que tranquillement, l’enfant s’attache à des individus : ses parents ou une gardienne qui est proche de lui ou une éducatrice en CPE, mais pas avec le roulement auquel on s’est habitué, pas avec le nombre d’heures auquel on doit composer ni avec la rigidité avec laquelle on a mis sur pied notre système de services de garde.
Vous faites référence à l’obligation du temps plein, 5 jours avec un minimum d’heures chaque jour?
C’est quelque chose qui m’a énormément choqué et que j’ai trouvé inacceptable. En fait, c’est ça qui m’a donné le souffle pour écrire le livre. Je me suis dit, si on en est rendu, comme État, à vouloir contrôler ce qu’une maman veut faire avec son enfant… Je me suis dit, ça ne marche pas là, il faut qu’il se passe quelque chose!
Quel est le danger qui guette l’enfant?
En fait, la plupart des enfants, même si tout est fait de travers, vont quand même bien s’en sortir parce que le plus important au bout du compte, c’est le couple parental. Une heure ou deux ou trois le soir et les weekends vont imprimer son style affectif à l’enfant et lui donner une base de sécurité importante. Par ailleurs, si l’enfant – et ça, c’est très clair –, surtout à partir de l’âge de 9 mois, voit trop de figure d’attachement cet enfant-là va se dire « je suis un très bon bébé, je suis un moyen bébé ou je suis un bébé qui n’en vaut pas la peine… », et à partir du moment où il se dit ça, il confie de moins en moins sa survie à l’adulte qui s’occupe de lui et il essaie lui-même de s’occuper de ses affaires.
Gérer ce stress-là peut atteindre les cellules cérébrales et ça atteint aussi la manière dont l’enfant se comporte avec l’adulte. Ou il devient très anxieux, il crie, il a des troubles du sommeil, il fait des crises au centre d’achats, ou ça fait un bébé qui est toujours sous les jupes de sa mère et qui a de la difficulté à s’en séparer, qui est indisciplinable, ou encore un enfant qui est plus violent, plus agressif, plus enragé et qui n’écoutera pas plus son professeur qu’il écoutait son parent parce que justement il ne fait pas confiance. Il va éventuellement avoir un problème de confiance en lui, d’estime de soi, d’estime des autres…
Ce n’est pas tous les enfants; 10, 20, 30 %, on ne sait pas. La seule chose qu’on sait maintenant – et c’est un des messages importants du livre – c’est qu’il y a une continuité dans les modèles affectifs avant 18 mois, dans la petite enfance, dans l’enfance et à l’adolescence pour toute la vie. Ce qu’on est avant l’âge de trois ans est quelque chose qu’on peut retrouver à 30 ou 40 ans! Le cerveau se développe à 95 % jusqu’à l’âge de 3 ans.
Qu’est-ce qu’on fait si l’enfant est déjà dans le système ou a fréquenté très jeune la garderie? Qu’est-ce qu’on doit décoder?
L’enfant qui ne va pas bien est peut-être l’enfant qui ne fait pas confiance. Par exemple, un enfant qui est turbulent à l’école, qui écoute mal son professeur, peut être facilement diagnostiqué comme un enfant hyperactif, alors que ça en est pas nécessairement un. C’est peut-être un enfant qui est anxieux, qui s’ennuie. L’enfant qui s’est habitué à survivre tout seul est un enfant qui n’exprimera pas nécessairement sa détresse et son désarroi, il va le garder pour lui et ça va le faire bouger beaucoup, être inattentif, faire le stupide. Cet enfant ne veut pas déplaire, il est bon pour son parent, il a peur du rejet. Je dirais qu’il y a beaucoup d’anxiété qu’on doit dépister. Il ne s’agit pas d’intervenir toujours chimiquement ou médicalement, il s’agit de reprendre du temps avec l’enfant. On ne peut pas récupérer tout le temps perdu, sauf qu’on peut arriver à panser des blessures. Je dis souvent aux parents, vous ne pouvez pas régler 100 % du problème, mais vous pouvez en régler 95 %. On a une obligation de moyens et non une obligation de résultat. Et les moyens, ils peuvent les prendre en allant au gymnase le soir avec l’enfant, en prévoyant une heure de jeu avec lui quand on le retrouve au bout d’une journée avant de lui demander de faire ses devoirs ou de manger, en fermant la télévision, en mangeant le plus souvent possible avec lui, c'est-à-dire rétablir les petites brisures dans les liens de confiance. Tranquillement, l’enfant va se retrouver confortable avec son parent, va retrouver cette confiance qu’il a en lui. C’est difficile à dépister parce que l’enfant aime son parent, mais n’est pas capable de lui dire qu’il ne lui fait pas totalement confiance.
Pour moi, la personne qui est capable de résoudre le problème, ce n’est pas le pédiatre, ce n’est pas le psychologue, ce n’est pas la molécule chimique, c’est le parent qui de par ses attitudes est la meilleure personne pour amener l’enfant vers quelque chose d’autre.
Est-ce qu’un enfant à qui on démontre de l’affection, à qui on donne du temps, qu’on écoute peut être rescapé même s’il fréquente la garderie?
Si l’enfant, après l’âge de 7-8 mois, trouve auprès d’une bonne éducatrice de l’affection, de l’encadrement et de la stimulation, qu’il voit son parent plus qu’une heure le soir et qu’il n’a pas eu de problème particulier (prématurité, maladies, etc.), cet enfant-là ne subira pas de conséquences, tout comme la majorité des enfants.
Et vous savez, il y a une grosse différence entre 6 heures et douze heures par jour, à la fin de la semaine! Ce qui est important de réaliser, c’est que la pensée symbolique, c’est-à-dire la capacité d’imaginer son parent quand il n’est plus là, arrive seulement à 18 mois. Un enfant de 14 mois par exemple, dont le parent est parti, au bout de 15 minutes, est incapable de penser à lui! Il peut retrouver les gestes d’affection à travers une autre personne et il n’en souffrira pas. Sauf que s’il n’a pas une bonne éducatrice ou si on change trop souvent d’éducatrices dans la journée et dans la semaine, cet enfant-là se rebiffe et peut développer les symptômes dont on parlait plus tôt. C’est normal pour un enfant de mal réagir à une éducatrice qu’il ne connait pas pendant des semaines. Ça peut prendre un mois ou deux avant qu’un enfant se retrouve en situation de confort.
Il ne s’agit pas d’être pour ou contre les garderies. Il faut simplement réaliser qu’il faut au départ être pour son enfant et que si on le confie à quelqu’un, il faut que cette personne-là puisse faire une équivalence maternelle fort importante.
Vous dites même qu’un enfant qui n’est pas adapté à sa garderie après un mois est un enfant normal…
Tout à fait. Entre l’ajustement et l’attachement il y a un monde. C’est tout à fait normal pour un enfant de moins de 18 mois, dans le mois, 2 mois et même 3 mois qu’il vient d’être mis à la garderie, de faire des crises et d’essayer de voir si les gens l’aiment. Et à ces crises, il faut répondre avec énormément d’encadrement et de contenance, avant de pouvoir le discipliner. On ne peut pas discipliner un enfant qui ne nous fait pas confiance. L’enfant qui ne veut pas déranger est l’enfant qui s’ajuste, s’adapte et se dit en lui-même, « je ne peux pas confier ma détresse à cette éducatrice, je vais donc me taire, fermer ma gueule, ne pas faire de crise », et cet enfant-là gère lui-même son stress. L’enfant de moins de 18 mois qui ne pleure pas quand on l’emmène à la garderie, pour moi le pédiatre, c’est l’enfant qui m’inquiète. Si l’enfant crie, il est en train de vous demander « est-ce que tu m’aimes? ». Si l’enfant ferme sa boîte, c’est qu’il se dit « vous ne m’aimez pas et je vais garder ça pour moi ». Sa conclusion est tirée.
Un exemple facile, c’est l’enfant qui tient prématurément, rapidement son biberon. Les gens voient ça comme une bonne nouvelle « c’est l’fun, il tient son biberon! ». Non! Un enfant de 12-13 mois qui vient de perdre sa maman qui est partie depuis 15 minutes se dit « Coudonc, elle est partie, je vais m’occuper de moi tout seul ». Il faut au contraire l’assister pour lui dire « oui tu peux le prendre tout seul ton biberon, mais je suis là pour t’aider parce que tu es trop petit. »
Vous savez que 6 des 10 médicaments les plus prescrits au Québec pour la petite enfance sont des médicaments pour l’humeur ou le comportement? Il y a un lien direct avec le stress des enfants qui vient d’abord du milieu familial et des différents milieux de vie, dont la garderie- la garderie de donne pas tous les problèmes-, et pourquoi la garderie? Parce que les enfants y passent une cinquantaine d’heures par semaine! C’est beaucoup une question de temps passé à l’extérieur du cercle familial. C’est pourquoi le temps de qualité et le temps en quantité sont des arguments fort importants à mettre de l’avant.
Vous avez de l’espoir pour l’avenir?
Je suis un gars extrêmement positif, qui respire le bonheur et qui dans l’adversité et le chaos comme dans la lumière et l’arc-en-ciel va rester le même, c'est-à-dire debout! Tant que je vais civilement faire quelque chose pour les enfants, je vais rester debout. Si ce que je viens de faire avec Nathalie Collard peut aider d’une certaine façon à respecter les valeurs de la société et que ces valeurs puissent être centrées autour de l’enfance et de la famille, j’aurai peut-être fait quelque chose. Mon travail c’est d’être pédiatre et d’encaisser pour les enfants, de parler pour eux. C’est aussi le travail des parents et d’une société qui veut faire le meilleur. Donc, pour moi, ce qui est important c’est de faire l'action – je vous le disais tantôt, on a une obligation de moyens, pas nécessairement de résultats. J’ai fait beaucoup de choses dans le passé, mais ce livre-là est la chose la plus importante, en tout cas la plus sentie et la plus vécue, que j'ai faite pour les enfants du Québec. C’est le meilleur de moi-même en tout cas!
Le Bébé et l'eau du bain : Comment la garderie change la vie de vos enfants, Dr Jean-François Chicoine et Nathalie Collard, Québec Amérique, 2006, ISBN 2-7644-0479-4, 12,95 $
(SC, mars 2006)
J'ai lu avec grand intérêt le livre en question et je regrette de ne pas l'avoir lu bien plus tôt. Je crois que le battage médiatique a été fort péjoratif et tout à fait hors sujet. Craintive de me sentir culpabilisée, je refusais de me procurer le livre qui piquait tout de même ma curiosité. J'y ai trouvé une vision tellement éclairante et racontée dans un style si scientifique et éducatif. Vous devriez sans aucun doute poursuivre les petites capsules le bébé et l'eau du bain, car ce que les auteurs partagent sont des informations combien importantes. Nous les mamans et même les papas avons tout à gagner en lisant ce livre.
Une maman pas trop pressée d'inscrire sa fille a la garderie... septembre 2006